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Hors Concours est une manifestation organisée par l’Académie Hors Concours,
avec la coopérative Éditindé.

Entretien avec David Medioni

Entretien avec David Medioni

 

David Medioni, journaliste et fondateur d'Ernest Mag !, membre du jury du prix Hors Concours 2020

Entretien par Anna Laillet

David Medioni ©Anna Laillet

David Medioni ©Anna Laillet

Temps de lecture : 6mn

On va commencer un petit tour d’horizon de votre parcours.

 

Ernest vient de loin. Avant de fonder Ernest, j’ai travaillé dans différents médias. J’ai été rédacteur en chef d’Arrêt sur Images, et responsable de la rubrique média à CB News. En parallèle de cela, et durant toutes mes études, j’ai travaillé pour la librairie La Griffe Noire à Saint-Maur. Ce sont cette passion de l’information, du journalisme comme passeur et des livres qui ont préparé la création d’Ernest. C'est un magazine littéraire en ligne qui mixe différents regards sur la littérature : regards de journalistes et de libraires indépendants, il y a aussi un préfet qui travaille pour nous, avec l’idée que tout le monde peut parler de littérature et tout le monde peut parler des livres. Ça va de la littérature blanche classique à la littérature chez les éditeurs indépendants, et à la littérature érotique et la BD.

Pourquoi avez-vous créé Ernest ?

 

J’avais cette passion chevillée au corps, du livre, de la littérature, de la façon de parler simplement des livres, en parler de manière chaleureuse, sans être surplombant en disant « C’est ça qu’il faut lire, c’est ça la bonne littérature .» Quand j’imagine Ernest, c’est une période où après mon départ d’Arrrêt sur Images, j’avais recommencé à faire des piges. Je me suis alors interrogé : « Qu’est-ce que tu pourrais faire ? Est-ce que tu recherches un boulot dans une rédaction ou est-ce que, au contraire, tu essayes de créer quelque chose ? » et c’est ce que j’ai choisi, c’est pour ça que j’ai créé Ernest. Finalement ça a lié mes deux passions de la littérature et du journalisme. Cette idée d’être passeur, de pouvoir observer, regarder, raconter le monde, à travers le prisme de la littérature, c’est aussi ça Ernest.

Ça a évolué Ernest, au fur et à mesure des années, ou vous saviez exactement la forme que ça allait prendre ?

 

Ça a évolué, mais tous les fondamentaux sont toujours là : cette idée de parler simplement de littérature, de ne pas juger les gens sur leur lecture, de mixer toutes les littératures. Il est quand même affligeant de trouver encore un certain snobisme quand on parle du « polar » alors que c’est un genre littéraire fort et puissant que les lecteurs et lectrices aiment. Au départ on avait beaucoup joué sur les codes de la fête, le slogan d’Ernest c’est « Lire est une fête », et en fait on s’est rendu compte qu’il fallait mieux montrer que la littérature pouvait nous emmener dans différents univers, donc on a un peu évolué.

C’est bien une référence à Paris est une fête ?

 

Oui bien sûr ! C’est pour ça que ça s’appelle Ernest aussi. Je voulais un prénom. Parce que j’ai fait toute une étude avant de lancer Ernest, sur la façon dont les gens s’informent sur la littérature et les livres, et la première source d’informations ce sont les amis. Je voulais un prénom pour que ce soit un nouveau copain. Et je voulais un prénom littéraire, forcément, et j’avais cette idée de fête, donc ça c’est assez vite imposé.

Ce qui me marque dans « Lire est une fête », c’est que normalement la lecture, de base c’est une activité qui est solitaire, voire quasiment intime, et que là vous en faites quelque chose qui se partage. Vous le faites avec tous les publics ? Est-ce que vous travaillez par exemple avec des enfants ?

 

Oui, on a une rubrique jeunesse. Dans Ernest il y a trois piliers : le site, sur abonnement. Une box de livres : on envoie des livres chez nos clients, eux choisissent « roman », « polar » ou « jeunesse », et on a créé un écosystème avec des libraires indépendants chez qui on achète les livres. L’idée c’est de leur faire une surprise, avec ce côté un peu fête, partage. Et troisième pilier c’est le Club. L’idée c’est de te faire passer des moments extraordinaires autour de ta passion du livre. Quand je dis « passion du livre », ça peut être la passion d’écriture : on a fait un atelier d’écriture, ça peut être la passion d’aller découvrir des maisons d’éditions… et on prépare une Murder Party, un escape game littéraire autour de la bière et d’Ernest Hemingway. Pour moi, conseiller un livre à quelqu’un, c’est le plus beau cadeau que tu puisses lui faire. Tu conseilles le livre en fonction de ce que tu perçois et que tu connais de la personne.

 

« Quand on fait un pas de côté, on ne réussit pas toujours, parfois on se trompe, mais au moins on fait des paris. »

 

Vous avez réussi à faire découvrir la littérature à des gens qui n’étaient pas forcément portés là-dessus ?

 

Dans nos abonnés on a 50 % de gros lecteurs qui lisent plus de dix livres par an. Ensuite ceux qui lisent entre six et dix livres par an comptent pour 30% environ. Le reste sont des gens qui déclarent lire entre zéro et cinq livres dans l’année. Notre cible, ce sont ces gens qui aiment lire mais qui sont impressionnés par les librairies où l’on chuchote et qui vont à la FNAC.

Ce sont des gens qui vous font confiance sur le choix des livres et qui ont envie de découvrir mais qui sont parfois timides, parce que comme vous le disiez c’est un milieu qui peut être snob.

 

Exactement. Et c’est ce que j’ai appris en travaillant à La Griffe noire : ce n’est pas une librairie dans laquelle on te dit « Non, Guillaume Musso on n’a pas. » Guillaume Musso tu l’as, parce que tu le vends, et tu peux aussi créer une relation avec les clients et les conseiller sur d’autres livres.

Ça permet de créer un pont.

 

Ernest c’est ça. C’est une passerelle, un pont entre toutes les littératures. On vient d'ailleurs de lancer une rubrique qui raconte raconte les passerelles entre la BD et la littérature.

Vous avez parlé dans une interview du « pas d’Ernest », le pas sur le côté. Vous pensez qu’on peut faire un lien avec l’édition indépendante, dans le sens où c’est aussi un pas sur le côté qu’elle propose ?

 

Je considère aujourd’hui que l’édition indépendante apporte la fraîcheur nécessaire à ce milieu littéraire qui est encroûté dans ses certitudes et dans ses présupposés. Quand on fait un pas de côté on ne réussit pas toujours, parfois on se trompe, mais au moins on fait des paris, et on n’est pas dans ses charentaises, tranquilles, en pensant que c’est ça qui se vend et que c’est ça que les gens veulent lire. Avec Ernest on a un peu cette même démarche, c’est pour ça que je me suis retrouvé avec Hors Concours, on tente des façons différentes d’aborder un livre.

Il y a une volonté d’ouvrir des frontières.

 

Voilà, on ouvre les frontières et surtout on replace le livre au centre du monde. Si le livre est dans son monde, replié sur lui, alors il rate une partie de sa mission.

C’est de l’entre-soi.

 

Oui. Je pense que l’édition indépendante fait la même chose que ce que nous faisons chez Ernest, elle tente la même idée, c’est-à-dire sortir des sentiers battus, essayer des choses… ce que certains grands éditeurs ne font plus du tout.

Comment avez-vous découvert l’Académie Hors Concours ?

 

C’est une copine autrice qui m’a dit « Tu devrais rencontrer Gaëlle, vous avez des choses à vous dire. ». Elle nous a envoyé un mail commun et on s’est rencontrés avec Gaëlle, on a pris un café et on a bien accroché : à la fois par l’approche que je défendais d’Ernest et elle de Hors Concours, donc cela s’est fait assez naturellement. J’avais déjà entendu parler de ce prix sans en avoir réellement compris l’architecture. J’avais lu La femme brouillon d’Amandine Dhée il y a trois ans, donc je connaissais sans m’y être vraiment intéressé en détail, mais ça a bien matché.

Je suppose que l’expérience a été concluante parce que ça c’était l’an dernier.

 

L’expérience a été fantastique. J’ai perdu au final dans la défense du livre auquel je voulais accorder le prix mais c’était un super moment, c’était hyper intéressant. Et puis j’adore parler bouquin, alors c’est toujours génial de voir qu'il peut y avoir cinq lectures très différentes d'un même livre. Pis, si tu t’arrêtes sur une page, l’un va comprendre ça et l’autre va comprendre autre chose, et c’est ça qui est riche, c’est ça qui est beau, c’est ça qui est fort.

 

« Ce que j’attends d’un livre en 2020, c’est qu’il dialogue avec le monde et que le monde puisse dialoguer avec ce livre. »

 

L’année dernière vous aviez été content des cinq livres sélectionnés par l’Académie des lecteurs et les professionnels du livre ?

 

Oui, j’avais été content. Ce qui m’avait étonné, c’est que c’était des livres très différents et pourtant tous un peu dans le même genre. Il y avait beaucoup d’autofiction.

Il y a énormément d’écrivains et écrivaines qui écrivent aujourd’hui des livres en rapport avec eux. Ça s’est évidemment toujours fait, mais il semble y avoir un retour du réel dans la fiction, ce qui est aussi un éclatement des frontières.

 

J’ai trouvé que c’était très marqué dans la sélection l’année dernière. J’aime les projets littéraires ambitieux. Ça peut être embrasser une saga, une époque, une période parce que tu veux tout raconter sur toi. 4 3 2 1 de Paul Auster c’est un livre de fou, c’est phénoménal. Et je trouvais qu’il y avait ça dans Souviens-toi des monstres et dans celui qui a gagné L’Odeur de chlore, même s’il m’a aussi un peu dérangé. En tout cas il était fort, c’était ambitieux. On a coutume de dire chez Ernest « La vérité est dans les romans », donc que le réel s’immisce dans la fiction, c’est logique. Après, entre réalité et vérité, il faut chercher.

On a parlé de manière globale de ce que vous aimiez dans la littérature, de ce qu’on pouvait en attendre. Est-ce qu’il y a quelque chose que vous attendez de la littérature en 2020 ?

 

C’est difficile comme question… Ce que j’aime dans la littérature américaine c’est sa capacité à se saisir du moment. Quand Safran Foer fait son bouquin autour du 11 septembre, Extrêmement fort et incroyablement près c’est quatre ans après. C’est le premier livre de littérature, pas de témoignage, avec le 11 septembre en toile de fond et sur la façon dont un événement historique peut modifier la destinée individuelle de chacun. C’est ça que j’aime dans la littérature américaine. Si on peut espérer pour 2020 ou pour 2021 qu’un livre soit autre chose qu’un journal de confinement, ce sera déjà bien. J’ai un peu peur de la vague « J’ai vécu le confinement comme ci, comme ça, c’était dur mais j’ai appris à aimer les choses essentielles »…

Ça s’attache trop à une forme d’individualité, sans ouverture sur le monde.

 

Voilà, exactement. J'aime dire qu'Ernest est un média littéraire dans lequel les livres dialoguent avec le monde et le monde dialogue avec les livres. Ce que j’attends d’un livre en 2020, c’est qu’il dialogue avec le monde et que le monde puisse dialoguer avec ce livre.

 
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