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avec la coopérative Éditindé.

Entretien avec Isabelle Minière

Entretien avec Isabelle Minière

Isabelle Minière, autrice de Je suis né laid, est la lauréate du prix Hors Concours des lycéens 2019-2020

Entretien par Anna Laillet    Temps de lecture : 5mn

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Comment vous est venue cette idée d’écrire sur la laideur ?

 

C’est un thème qui me tient vraiment à coeur. Ce que raconte Arthur, lors de son stage en crèche, c’est quelque chose que j’ai vécu comme étudiante en psychologie. Mon tout premier stage était un stage en crèche, et j’ai été vraiment très touchée voire stupéfaite par les réactions du personnel de la crèche. L’attirance que peut provoquer des enfants qui sont beaux. C’était transparent, ils attiraient beaucoup plus l’attention, les soins, l’affection, que les moins beaux, les moches voire les pas terribles. C’est un thème qui me tient à coeur, ça s’attache à l’enfance, à l’adolescence. Moi j’ai été traitée de grosse patate, le physique est rapidement stigmatisé. Les études en psychologie sociale montrent qu’on attribue beaucoup plus de qualités, y compris intellectuelles et relationnelles à quelqu’un qui est beau. Or, la beauté c’est la symétrie et la régularité des traits.

C’est assez facile de s’imaginer le visage d’une personne belle, mais dans le cas d’Arthur qui est laid, je ne parvenais pas
à me faire une image de lui.

 

Effectivement, c’est un retour que j’ai souvent eu. Je fais une description assez vague, c’est vrai. Mais je pense que les gens vraiment laids, c’est rare. Ça m’est arrivé de croiser des personnes laides en étant extrêmement mal à l’aise, puisque rien que le fait de se dire « cette personne est laide » sonne comme un jugement. Je me rappelle dans un bus, j’entends un bruit, je me retourne, et la personne derrière moi était hideuse, avec un visage difforme. J’ai poussé un cri et je m’en suis tellement voulue. Quand on a une réaction comme ça qui nous échappe, on se demande ce qui s’est passé. J’ai beaucoup d’empathie pour les personnes laides, elles ont un handicap de départ.

C’est intéressant cette idée selon laquelle ce qui est laid dans la vie peut être considéré comme beau dans l’art. Stendhal disait « Ce sont des horreurs mais ce sont des chefs-d’oeuvre. »

 

Peut-être parce que la sculpture, dans le cas du père d’Arthur, fait appel à l’imaginaire : il y a un filtre. On n’a pas la réalité en face.

 


« C’est rigolo, on perd le post-it et on se dit : « Oh non c’était génial, c’était LA phrase. » Et puis on retrouve le post-it et en fait c’était nul. C’est assez comique et ça rend modeste. »

 

Vous avez vu les commentaires des lycéens
sur votre livre ?

 

Oui, j’ai été très touchée, et puis c’était drôle. Certains sont d’une très grande finesse, il y a des réflexions fines, subtiles, et d’autres qui sont franchement rigolotes comme « les chapitres sont courts alors ça va ».

C’est vrai que l’écriture est très fluide, on lit
le livre d’une traite.

 

C’est quelque chose auquel je tiens. J’aime les écritures fluides.

Vous travaillez beaucoup votre écriture ?

 

Je fais a priori très confiance au premier jet, à ce côté spontané et authentique. Pour moi l’écriture vient de quelque chose d’inconscient, ou de l’imaginaire, on met le mot qu’on veut. Mais ce n’est pas quelque chose de construit en amont. Je fais assez confiance à ça.

Vous arrivez à savoir ce qui va marcher ou pas, ce qui est à retravailler ?

 

Je ne mets pas de plan, je ne sais pas où je vais, c’est le personnage qui va me guider. Il y a quelque chose qui me tient vraiment à coeur : cette logique du texte, qui se construit en se faisant. C’est pour ça que je ne peux pas savoir où je vais.

Vous prenez juste une base, ici « Arthur naît laid » et vous déroulez un fil ?

 

C’est comme si je ne décidais rien, ça se décide. Le personnage naît et pousse dans ma tête. Au départ je n’écris rien. J’ai des phrases qui me viennent : « Je suis né laid » c’était là dès le début. Je m’endors avec ça, et ça revient le lendemain. Au bout d’un moment je prends des notes sur un carnet ou sur des post-it, que je perds parfois d’ailleurs... c’est rigolo, on perd le post-it et on se dit : « Oh non c’était génial, c’était LA phrase.  » Et puis on retrouve le post-it et en fait c’était nul. C’est assez comique et ça rend modeste. Donc ça se construit comme ça, je prends quelques notes, jusqu’au moment où ça insiste tellement qu’il faut que j’aille ouvrir un fichier sur l’ordinateur. Et j’ai vraiment la sensation que le personnage me raconte son histoire. Il y a un moment où Arthur peut se poser la question « Est-ce que je veux passer par la case chirurgie esthétique ou pas ? », ça va dans la logique du texte. Moi, qu’est-ce que j’allais faire de ça, qui plane depuis le début ? Est-ce qu’il allait y aller ou pas ? J’ai décidé de ne pas décider. J’ai continué d’écrire sans savoir, en attendant le moment où le choix qu’il ferait deviendrait une évidence.

Vous vous souvenez quand vous avez commencé à écrire ?

 

Dès l’enfance, des bêtises, et dans l’adolescence des poèmes, des nouvelles. Mais je jetais ce que j’écrivais parce que je n’étais pas satisfaite. Et puis, c’est quelque chose que se disent beaucoup d’écrivains je crois, il y a tellement de très beaux livres qui sont déjà écrits, qu’est- ce que je vais me mêler de ça ?

Pourquoi vous en êtes-vous mêlée finalement ?

 

Je sentais en moi ce goût d’écrire depuis très longtemps et il y a un moment où je me suis dit « Si c’est ça qui est vraiment très important dans ma vie, il faut que je m'y confronte. » C’est au moins essayer. Et j’ai essayé.

Vous avez décidé un jour de ne pas jeter
ce que vous aviez écrit ?

 

J’aurais dû commencer par des nouvelles, mais je n’ai pas eu cette présence d’esprit assez tôt. C’est un travail de beaucoup moins longue haleine qui permet de s’y mettre, de s’y coller, d’écrire très régulièrement, de prendre un rythme et des habitudes d’écriture. Pour moi la longueur du texte ne dit rien sur l’écriture, sur la littérature. Le premier roman que j’ai écrit m’a donné ces habitudes, c’est un apprentissage. Bon, il a fini à la poubelle, je pense qu’il ne méritait pas grand-chose d’autre, mais il m’a construite moi comme écrivain.


« Être petit, gros, grand, maigre, laid ou moche, on n’y peut rien, c’est une injustice. Mais il y a des injustices auxquelles on peut remédier. »

Comment s’est passée votre expérience
à Hors Concours ?

 

J’ai trouvé ça très intéressant. Il faut valoriser Hors Concours. Je suis très sensible à l’injustice, je pense qu’on le voit dans Je suis né laid : être petit, gros, grand, maigre, laid ou moche, on n’y peut rien, c’est une injustice. Mais il y a des injustices auxquelles on peut remédier. Et je trouve que Hors Concours remédie à une injustice. Si on veut un prix littéraire, il faut être dans une grande ou une moyenne maison d’édition. C’est comme à la banque, on donne aux riches... enfin, on prête aux riches, la banque ne donne jamais. Et ce phénomène se retrouve ailleurs, dans l’édition aussi. Et la spécificité du prix Hors Concours et Hors Concours des lycéens, c’est que c’est un prix de lecteurs : ils n’en ont rien à faire que ce soit tel journaliste qui parle de tel livre, qu’il vienne de telle maison d’édition... leur seul souci c’est le texte.

Qu’est-ce que vous attendez d’un livre
en 2020 ?

 

J’attends d’un livre qu’il me nourrisse. Ça peut être intellectuellement ou affectivement. Qu’il m’éclaire aussi. Qu’il assemble des choses qui étaient déjà là, en graine, et ça les fait pousser. Des idées prennent forme : le terrain était là et l’auteur va permettre que ça se construise. Ça permet d’aller ailleurs, et pour plagier Emmanuel Carrère, de vivre d’autres vies que la sienne. Écrire et lire c’est ça : d’autres vies que la mienne. Je suis très jalouse de ce titre... Ça me rappelle mes premières lectures à l’école primaire, j’avais tellement hâte de retrouver mon bouquin que j’avais l’impression qu’il s’était passé des choses quand je n’étais pas là, je me demandais ce que les personnages avaient fait en mon absence.

Comme si l’histoire se déroulait en-dehors
de vous ?

 

Oui ! D’autres vies que la mienne c’est ça : ça se passe en-dehors de moi ET ça me concerne. La littérature nous fait plonger, on y est. Je ne sais pas trop si ça répond à cette question sur la littérature en 2020...

C’était une manière de se demander si on attendait quelque chose d’autre de la littérature, selon les époques auxquelles on vit et les événements qui les traversent.

 

De toute façon, on écrit d’où on est, à l’époque où on est. L’histoire des personnages témoigne de ce qui se passe. Ce qui nous habite, nos préoccupations, elles passent dans le livre. Je voulais aborder un autre sujet : il faut, bien sûr, défendre les petits éditeurs, et aussi les librairies. Il y a un message que je voudrais faire passer : n’allez jamais acheter sur Amazon, jamais. Les librairies sont là pour vendre des livres.

Entretien avec David Medioni

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Libération

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